HYMNE VI DÉSIR DE LA MORT |
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Traduction Armel Guerne Traduction Gustave Roud |
"Le naturel avec lequel l'allemand peut
jouer du surnaturel est incompatible avec le sens surnaturel qu'a tout
naturellement notre langue française.
Cela ne touchant en rien l'authenticité de l'expérience spirituelle de Novalis en elle-même, cet unique chemin de vérité à laquelle son génie accéda, je pense qu'il me sera permis de demander très humblement au lecteur que cette vérité intéresse, de se laisser mener comme il convient par la musique qui alimente souterrainement les images, tout en lui apportant mentalement le discret correctif d'une sourdine assez légère qui le rapprochera plus exactement de la mesure essentiellement germanique de l'œuvre originale." Armel Guerne
Descendre enfin dans le sein de la terre, Laisser enfin ces règnes de lumière ! Le choc et l'élan des souffrances Sont les signes de gaie partance. - L'esquif étroit nous fait un prompt voyage Pour aborder bientôt au céleste rivage.
Louange et gloire à la Nuit éternelle ! Louange à l'éternel sommeil ! Le jour nous a saturés de chaleur Et tout flétris, cette longue douleur. - Nous n'avons plus le goût des terres étrangères Nous voulons retourner chez nous, chez notre Père.
A quoi bon dans ce monde ici Tout notre amour et la fidélité ? L'ancien, on s'en détourne avec mépris Et le nouveau, comment peut-il nous importer? - Ah! combien solitaire et combien contristé Celui, pieusement, qui aime le passé!
L'Autrefois où s'illuminaient les sens Qui s'embrasaient en hautes flammes claires, Où, du visage et de la main du Père, L'homme savait encore avoir la connaissance. - Et souvent l'âme haute, avec simplicité, Venait encore à son modèle s'égaler.
Ce grand Passé, où dans leur pleine fleur Les races d'autrefois éclataient de splendeur Et leurs fils, aspirant au ciel et son empire, Espéraient en la mort et s'offraient au martyre. - Et la vie et la joie, si même elles appelaient, Par amour cependant plus d'un cœur se brisait.
Ce Passé où, splendide de jeunesse Dieu en Personne s'est manifesté, Puis dans la mort précoce il a jeté Sa vie exquise, avec amour et hardiesse. - Douleur, angoisse, il n'a rien refusé Pour nous rester toujours précieux et bien-aimé.
Quel serrement de cœur à voir ces temps passés S'envelopper de nuit obscure ! Jamais en la temporelle aventure L'ardeur de notre soif ne pourra s'apaiser. - Il faut que nous allions jusqu'en notre patrie Pour pouvoir contempler cette époque bénie.
Qu'y a-t-il qui retarde encor notre retour ? Depuis longtemps déjà nos aimés s'y reposent. A leur tombeau notre vie a fermé son cours ; En douleur maintenant tout se métamorphose. - Et notre quête ici n'a plus rien à trouver Le monde est vide - le cœur rassasié.
Infiniment, tout de mystère empreint Nous transperce un effroi plein de suavité. J'entends dans les lointains profondément rouler Comme un écho de notre lourd chagrin, - Les bien-aimés eux aussi nous désirent, Leur nostalgie en nous met son soupir.
Descendre enfin vers l'adorable fiancée, Vers Jésus, le très bien-aimé ! Confiance ! le crépuscule déjà se lève Sur les amants inconsolés. - Et c'est un rêve Qui rompt nos liens et nous libère Pour nous jeter au sein de notre Père.
Nostalgie de la mort
Descendons au sein de la terre, Venez, fuyons le royaume du Jour ! Le rude assaut des souffrances amères Est ton signal, gai départ sans retour ! D’un trait vers les cieux et leur rive S’élance notre barque étroite et vive.
Louange à la Nuit éternelle ! Louange à l’éternel sommeil ! Nous sommes las du Jour, de sa brûlure, Et tout flétris de notre long tourment. Le charme a fui de la terre étrangère : Entrons dans la demeure, auprès du Père.
Cœurs pleins d’amour et de fidélité, Quelle tâche ici nous appelle ? Ce monde rit des choses du passé : Que valent pour nous les nouvelles ? O solitude, ô sombre désarroi De qui porte amour au temps d’autrefois !
Les temps passés où comme un brasier d’or Les sens brûlaient en hautes flammes claires, Où les hommes reconnaissaient encor Le visage et la main du Père, Où maint d’entre eux, candide et noble cœur, Gardait un reflet de son créateur.
Les temps passés où des antiques races Brillait encor la riche floraison, Où des enfants dans les tourments profonds Cherchaient la mort, promesse du Royaume ; Où la vie et les sens parlaient en vain A maint cœur brisé par l’amour divin.
Les temps passés où l’on vit Dieu lui-même, Manifesté dans sa jeune splendeur, Vouer à la précoce mort, suprême Élan d’amour, sa douce vie en fleur, N’ayant point repoussé la coupe amère Afin que cette mort nous fût plus chère.
Nos yeux brûlés d’angoisse et de regret Pleurent ces temps perdus dans la ténèbre. Rien ici-bas n’apaisera jamais L’ardente soif en nous comme une fièvre. Pour vous revoir encore, ô temps bénis, Reprenons le chemin du cher Pays.
Ah ! pourquoi retarder notre retour ? Depuis longtemps nos bien-aimés reposent. Leur tombe clôt la course de nos jours, La douleur vient, et le souci morose. Poursuivre notre quête – que nous sert ? Nos cœurs sont las, ce monde est un désert.
Illimité, mystérieux, Un doux frisson traverse tout notre être. J’ai cru surprendre au plus profond des cieux L’écho lointain de nos tristesses : Murmure, appel, nostalgique soupir Des bien-aimés là-bas pleins de désir.
Descendons vers la tendre Fiancée, Vers notre Bien-Aimé, Jésus – Venez, l’ombre du soir s’est éployée, Douce aux amants par le deuil abattus… Un rêve rompt notre chaîne dernière Et son aile nous plonge au sein du Père.
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