OLIVIER SCHEFER 
                                 Traducteur de Novalis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

> L'œuvre de Novalis (en langue française) > > Corinne Bayle, Note, juin 2004

Olivier Schefer enseigne l'esthétique à la Sorbonne. Il s'est attaché à l'œuvre de Novalis dont il traduit depuis quelques années les "fragments". S'inscrivant en faux contre ce qu'il nomme le "mythe Novalis", "autant d'images, dit-il, embarrassantes pour la critique moderne et contemporaine, attentive aux phénomènes de rupture et de crise", il ouvre, par ses traductions et ses préfaces, une nouvelle approche de l'œuvre de Novalis.


Novalis, Brouillon général, Allia, 2000

Olivier Schefer, Le monde doit être romantisé, Allia, 2002

Novalis, Semences, traduit par Olivier Schefer, Allia, 2004

Olivier Schefer, Art et utopie, Les derniers fragments (1779-1800), Éditions Rue d'Ulm, 2005

Les manuscrits traduits ici sont les derniers textes philosophiques de Novalis que nous possédions. La maladie qui l'affecte (la phtisie) l'empêchera de tenir une plume les quatre derniers mois qui lui restent à vivre (il meurt le 25 mars 1801), période durant laquelle il n'écrit plus rien, à l'exception de trois lettres. Les notes qui nous occupent furent rédigées sur une période d'un an et demi, du mois de mai 1799 à la fin de l'automne 1800. Comme le remarquent les éditeurs allemands, cette période fut sans doute l'une des plus actives de la brève existence de Novalis, à la fois sur les plans professionnel, littéraire et personnel. Au sortir de ses études à l'École des Mines de Freiberg (1797-1799), Novalis devient inspecteur des salines pour l'État saxon, ce qui le conduit à effectuer de nombreux déplacements sur le terrain (Dürrenberg, Kösen, Artern). Il sera nommé à la direction des mines de Weilβenfels en janvier 1800. Les raisons de cet engagement professionnel sont notamment financières, puisque Novalis cherche une situation stable en vue de son mariage avec Julie von Charpentier, la nièce d'un de ses professeurs à Freiberg. Du 1er au 15 juin 1800, il accomplit, sur la demande du géologue Abraham Gottlob Werner pour l'Électorat saxon, plusieurs voyages « géognostiques » en Saxe, afin d'y relever notamment la présence de lignite, nécessaire à l'économie de l'époque. C'est également une période socialement riche pour Novalis : il rencontre pour la première fois Goethe en juillet 1799 (et le revoit en novembre). Il se lie d'une très forte amitié avec Ludwig Tieck, qui sera, avec Friedrich Schlegel, le premier éditeur des Œuvres de Novalis en Allemagne, un an après sa mort. Enfin, il rencontre Henrik Steffens, qui fera de lui un portrait vibrant dans ses mémoires, Was ich erlebte. Cette période est aussi et surtout celle qui voit naître quelques-uns de ses plus fameux textes : Les Hymnes à la nuit paraissent en 1800 dans la dernière livraison de la revue de l'Athenäum. Novalis rédige également son essai religieux, Europe et Chrétienté, ainsi que ses Cantiques spirituels, parus après sa mort. Il a toujours le projet de finir ses Disciples à Sais, commencés en 1798. Mais c'est surtout l'écriture de son grand roman inachevé, Henri d'Ofterdingen, qui mobilise ses forces. On peut lire dans ses notes plusieurs allusions à son récit, ainsi que l'esquisse du conte de Klingsohr, inséré dans le roman. Si on trouve ici des préoccupations communes à la plupart de ses manuscrits théoriques, du Pollen au Brouillon général, les questions religieuses, médicales et poétologiques occupent une place de premier plan.

Olivier Schefer, Poésie de l'infini, Novalis et la question esthétique, Collection Essais, La Lettre volée, 2001


Tout a lieu comme si le nom et la personne même de Novalis avaient cristallisé tous les poncifs aujourd'hui encore rattachés au romantisme, de sorte qu'il paraît difficile d'évoquer cette figure sans pathos ni emphase. Destin fulgurant en effet que le sien, prompt à susciter l'exaltation lyrique du commentateur : voilà un jeune homme "génialement" précoce qui lit et commente  avec quelle intelligence ! Kant et Fichte à 20 ans, qui se passionne pour à peu près toutes les sciences de son temps, écrit beaucoup (mais publie peu !), aime d'amitié (Friedrich Schlegel, Ludwig Tieck), et surtout d'amour (Sophie von Kühn, Julie von Charpentier). "Génie, amour, passion ont bien sûr leur revers d'obscurité toute "romantique" : la maladie d'abord qui l'accompagne depuis son plus jeune âge (dysenterie très grave à neuf ans dont il réchappe de justesse), jusqu'à sa propre mort, elle aussi précoce (il meurt à vingt-neuf ans de la tuberculose). Mort omniprésente de surcroît au cours de sa vie. Novalis perd son frère Érasme, atteint de phtisie, et son plus jeune frère Bernard, âgé de quatorze ans, qui se noie dans la Saale. Mais c'est surtout la disparition de sa très jeune fiancée de treize ans, Sophie von Kühn, qui a contribué à créer le "mythe" novalisien de l'amour à mort romantique dans sa version la plus pure. Armel Guerne, qui a largement participé en France à la propagation de ce mythe, évoque cette "prodigieuse conversion à la mort (quand il perdit sa bien-aimée) qui lui ouvrit les portes des grands mystères, et lui permit de nous laisser le pur diamant de son Œuvre". Cette conversion mystique à laquelle nous devons Les Hymnes à la nuit, et dont Le Journal après la mort de Sophie retrace le douloureux cheminement spirituel, a fait ainsi du jeune génie, dans notre imaginaire, l'une des plus "pures" figures du romantisme. Philippe Jaccottet reconnaît pour sa part en Novalis un poète "aérien" et "cristallin" : "un elfe, qui parle d'une voix étonnamment innocente (a-t-on remarqué les yeux immenses du portrait ?) touchant d'un pied rapide et léger la terre". Cette candeur enfantine s'apparente à la grâce de celui qui transforme en lumière tout ce qu'il touche, et d'abord l'opacité de sa propre douleur, marchant à sa fin déclarée, et par lui pressentie, avec allégresse, s'éteignant enfin comme ces "mystérieux élus de l'éternité", pour reprendre une autre formule d'Armel Guerne. Et Friedrich Schlegel, dans les bras duquel Novalis s'éteint, présent à son chevet avec Ludwig Tieck (tous deux éditeurs des premières Œuvres de Novalis en Allemagne) nous assure "qu'il n'est pas possible de mourir avec tant de beauté". Le seul tableau que nous possédions de lui ne nous montre-t-il pas enfin le poète sous les traits d'un jeune homme, à la beauté presque féminine, avec de grands yeux perdus dans une rêverie qu'on sent lointaine et prolongée ? Cette image idéale et idéalisée du poète s'est encore imposée à travers ses Cantiques spirituels ou encore La Chrétienté ou l'Europe, texte dans lequel Novalis se fait le chantre "conservateur" d'une communauté politique religieuse qui, sous des dehors « futuristes », pourrait bien apparaître comme une revivification du modèle monarchique absolutiste. C'est du reste ce dernier texte de Novalis qui sert d'exemple à Alain Renaut pour identifier ce qu'il appelle la "révolte antimoderne" du romantisme, en quête d'une "unité supérieure à celle de l'État nation". Génialité précoce, pureté enfantine, amour mystique, destin fulgurant, le tout étayé par un traditionalisme profond, voire "réactionnaire" : tels sont les principaux ingrédients du "mythe Novalis".