ARMEL GUERNE, traducteur de Novalis

 

Manuscrit de la traduction du premier des Chants spirituels de Novalis par Armel Guerne

 

 

Novalis, Fragments, choisis et traduits par Armel Guerne, Aubier Montaigne, 1973

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extraits des Lettres à Pérégrine

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NOTE DU TRADUCTEUR

Au sens où, finalement, devait l'entendre Novalis, les Fragments sont comme une carte à main levée de toutes les migrations dans le connu et l'inconnu des grands et des petits oiseaux de la pensée. Notes de lecture et de travail, exercices d’apprentissage ou essais de maîtrise, études et analyses, éléments d’addition ou somme provisoire, comparaisons et changements de registre, compositions et décompositions, passages et ouvertures d'une discipline à une autre, repères précis d'une expérience intérieure, projets et esquisses, hypothèses et conclusions, éclairs et fusées, écrits purs et visions soudaines, certitudes acquises, aperçus et pressentiments dans de nouvelles perspectives, inventaire, invention, découverte, moments de lutte et de débat : il y a de tout dans cette masse qu'il n'a cessé d'enrichir et de perfectionner sur l'intense chemin d'une existence approfondie et presque toute pratiquée dans la consciente approche et la pénétration physique et spirituelle de la mort.

 Y effectuer un choix est une opération, au sens chirurgical du mot, inévitablement sanglante et peut-être mortelle. Le choix qu'on fait selon son goût, quand même il serait séduisant, se fait évidemment au détriment de l'auteur et reste non seulement suspect de subjectivité, mais incontestablement coupable d'une actualité qui ne concorde plus avec ce qu'est la sienne.

    Il y a quelque chose d'indigne à se servir pour son plaisir ou pour plaire au lecteur vivant, de ce qu'il y a d'inséparablement précieux dans l'œuvre et dans la vie d'un Novalis, qui est sans doute, dans l'absolu, l'un des êtres humains qui a le moins vécu en vain. C'est pourquoi j’ai surtout cherché à rapprocher mon choix de celui qu'il eût pu faire lui-même ou aimer en tout cas, c'est-à-dire à donner de lui une image plus conforme à ce qu'il était lui-même et par lui-même dans le mystère de son génie, qu’à l'image chaque jour un peu plus conventionnelle qu’on s'est faite de lui à travers les travaux accumulés des spécialistes, des philologues, des philosophes et des historiens, depuis que s'est éteinte la grande ardeur qui enflamma, trois courtes générations durant, la générosité des âmes romantiques avant que de redevenir, peut-être, de nos jours, une petite flamme d'infini, brusquement salutaire en un temps qui se croit seulement le technicien de la matière et se sent malheureux. Le Poète, le vrai, qui doit penser et se risquer bien plus avant que tous les autres, est sûrement le moins prisé et le plus nécessaire des hommes aujourd'hui... et sûrement aussi le plus rare de tous.

    Mais quelle méthode suivre, à quel ordre obéir pour présenter de tels « fragments »? Incliner au penchant rationnel et logique du Français comme le firent spontanément Maeterlinck ou Germaine Claretie naguère, et grouper sous diverses rubriques ce qui était épars, et justement tenait de là son charme et sa vertu, me parait être un contresens. Comme si l'on voulait faire un bouquet en arrangeant et classant soigneusement ici les étamines, là les pétales, et là les feuilles, et les tiges plus loin, etc. Ou encore imposer un ordre préconçu, comme l'a tout récemment tenté avec entêtement M. Ewald Wasmuth en Allemagne, et forcer Novalis à devenir en dépit de lui-même un faiseur de système, une sorte de théoricien, abstrait de la pensée, un philosophe au sens actuel de la chose et du mot, alors qu'il est avant tout un poète, un initié du verbe et un praticien de la vie intérieure au seuil du temple de la sagesse qui a l'éternité pour elle : voilà tout bonnement une entreprise coupable et d'incompréhension majeure. Rien ne ressemble moins à ce que sont réellement les Fragments de Novalis (les tentatives d'évasion réussies ou manquées, renouvelées sans cesse vers l'absolu et sa seule vérité, d'une pensée qui se sent, prisonnière dans les mensonges confirmés) que le système de confort ou de réconfort intellectuel que nous propose cet auteur sous le titre abusif (ou abusé) d'Encyclopédie.

    Restait un ordre, le seul qui ne fut point artificiel et n'imposât, de l'extérieur, nulle violence : le seul qui soit respectueux des choses qu'on ignore; et c'est l'ordre chronologique que j'ai voulu scrupuleusement respecter. Le temps peut bien sembler n'avoir guère de valeur quand on le passe ou quand il passe, mais quand il est passé, il devient absolu. Et son langage est spirituel plus que tout autre, puisqu'il est sans parole et que rien ne peut plus y être corrigé.

    Une vie dont on reste certain qu’elle a touché au plus secret des hautes plénitudes et s'y est accordée aux certitudes ineffables pour nous parler de là - cette vie dont on sait qu’elle a cessé au bout de vingt-neuf ans à peine - condense donc un immense voyage en peu de temps, accuse infiniment son relief et marque d'heure en heure, pour ainsi dire, les différences et le progrès de son mouvement spirituel. Changer de place une pensée ou la donner hors de son plus rigoureux moment est déjà du mensonge ; modifier l'angle d'une arête, priver quelque sommet de l'éclairage qui lui est propre, c'est fausser la valeur de ces points de repère et faire mentir ainsi toute la géographie. Or, à quoi bon ? Je voudrais être plus honnête en laissant à chacun, partant de là, le soin privé d'interpréter, comme il voudra, le paysage, et le bonheur d'y respirer autant qu'il le pourra. 


"Le Christ de Saint Jean de la Croix a véritablement changé et enrichi l'air de mon cabinet de travail, d'où je descends depuis des mois dans les mines et les cryptes douces-amères de Novalis - qui va me retenir un an. Je suis en train d'essayer de rendre lisible en français l'illisible Henri d'Ofterdingen. Entreprise aussi désespérée que la folie de vouloir arracher G. de Nerval aux Nervaliens pour le restituer à Nerval. J'aurais tort de me plaindre de mes tâches quand je vois ce que font les autres. Je me plains seulement que le français soit devenu une langue morte, que seuls entendent encore quelques étrangers cultivés."

12 janvier 1969

"Ce qu'ils appellent la littérature et ce qu'ils en disent, à la télévision, ce serait merveilleux qu'on en fasse l'économie sur les programmes. Tout le monde y gagnerait. Cela dit, réussir quand même à faire parler de Novalis dans un temps comme celui-ci, c'est un exploit, ne trouvez-vous pas ? Comme c'en fut un de parvenir à le faire éditer par ces sinistres Gallimard. Et maintenant c'est publié. La chose existe. - Avez-vous lu le texte d'Hemsterhuis, à la fin du second volume ? J'aime bien."

le 6 mars 1973

"Dommage que cet ouvrage ne soit pas sorti vingt ou trente ans plus tôt : c'est un très beau travail, assez impressionnant (où il me semble avoir sauvegardé tout le charme de Novalis, beaucoup plus viril qu'on ne croit) que d'autres temps que cette époque merdeuse eussent assurément salué à grands cris."

7 mars 1975

"Cela dit, le Novalis est quand même un succès ; ce qui est étonnant dans la moisissure contemporaine. Mais j'attends toujours un éditeur-miracle (et de plus en plus incertain) pour briser l'ostracisme dont est victime la poésie. Il faudrait pourtant faire vite, parce que bientôt il n'y aura plus de papier : les Canadiens qui étaient ici la semaine dernière (venus m'enregistrer pour Radio-Canada) disaient que vers 1980 on en manquerait partout dans le monde. Je ne peux pourtant pas me mettre à graver la pierre ! "

 


Œuvres de Novalis traduites par Armel Guerne

Les Disciples à Saïs. Frontispice d'André Masson. Paris, G.L.M., 1939.

Poème et fragments, Les Quatre vents, 7, 1946.

Europe ou la Chrétienté. Numéro spécial des Cahiers du Sud sur le Romantisme allemand, Paris et Marseille, 1949.

Hymnes à la nuit. Paris, Éditions Falaize, 1950.

Fragments. Choisis et traduits par Armel Guerne (édition bilingue), précédés d'un essai par Charles Du Bos, Paris, Aubier-Montaigne, 1973.

Œuvres complètes. (2 vol. : I. Romans.  Poésies.  Essais.  Il.  Les fragments.) Édition établie, traduite et présentée par Armel Guerne. Paris, Gallimard, 1975.

Les Disciples à Saïs. Hymnes à la Nuit. Chants religieux. Avec quelques poèmes extraits d'Henri d’Ofterdingen. Traduction et présentation d’Armel Guerne. Gallimard, coll. Poésie/Gallimard, 1975.